Architecte et urbaniste, Philippe Madec place l’humain au cœur de ses projets. Il conçoit une ville de la pantoufle constituée de bio-îlots et plaide pour une frugalité des usages, des ressources et des mobilités. Entretien.
Publié le 18 septembre 2025
Qu’est-ce que la ville de la pantoufle ?
Philippe Madec : J’ai utilisé cette expression pour la première fois en 2008, mais elle est le fruit de travaux anciens. Je suis originaire d’un petit village breton de 200 habitants et un amoureux des grandes villes. Un de mes combats a été de lutter contre l’opposition paresseuse du rural et de l’urbain. Je défends la notion d’établissement humain, plus ou moins dense. Mes projets au Maroc, à Bordeaux, Fort de France ou Paris découlent de la leçon des bourgs. De 1991 à 2004, j’ai travaillé à la constitution du centre de la commune de Plourin-lès-Morlaix, dans le Finistère. Pour cela, je suis parti de l’expertise des habitants, ce sont eux qui ont la maîtrise des usages. La ville, c’est la vie qui s’y déploie. La vie quotidienne a constitué le cœur de ce travail, lauréat en 2001 du Prix du Projet citoyen.
Depuis, qu’il s’agisse de concevoir un écoquartier à Montpellier ou Val-de-Reuil, de travailler pour une commune de 200 habitants ou une métropole, je mets le quotidien au centre du projet urbain, je conçois des « bio-îlots », des petits quartiers autonomes mais reliés entre eux par les continuités de paysage et de cheminements doux. La ville de la pantoufle, c’est ce lieu de vie où la crèche et la boulangerie sont à 3 minutes à pied du domicile, le centre médical et la poste à 6 minutes, le lycée ou l’équipement culturel à 12 minutes pour garder le temps de la déambulation. Les voitures, les transports en commun sont placés en périphérie : la mobilité, c’est pour aller loin. Récemment l’urbaniste Carlos Moreno a formulé, avec la ville du quart d’heure, une idée similaire : tous les besoins fondamentaux doivent être accessibles en moins de 15 minutes.
Arrêtons d’aménager. Ménageons les territoires
Pour vous, qu’est-ce que la mobilité durable ?
En 2010, lorsque j’ai été consulté par la région PACA pour un schéma de développement durable à très grande échelle du val de la Durance, un territoire qui s’étend des Alpes aux Pyrénées, j’ai valorisé l’immobilité. Pour beaucoup de gens, la mobilité est une contrainte, elle est subie. Il faut sortir de cette dépendance. Devant la raréfaction des ressources et le dérèglement climatique il faut arrêter d’aménager, pour commencer à ménager les territoires. En janvier 2018, avec Dominique Gauzin-Müller, architecte, et Alain Bornarel, ingénieur, j’ai lancé le mouvement et le manifeste pour une frugalité heureuse et créative : l’objectif est simple : faire mieux avec moins. Cela vaut pour la consommation de ressources, d’espace, d’énergie et bien sûr pour la mobilité. La mobilité durable et inclusive commence en sortant de la dépendance à la voiture ou aux transports communs.
Des initiatives comme Cittaslow ou Walkable Cities qui font la promotion de la marchabilité apportent non seulement des villes plus durables, plus résilientes, mais aussi plus inclusives avec un meilleur accès aux services et une réduction des dépenses. La proximité et la qualité de vie sont créatrices de liens. Ce qu’on demande à un architecte ou à un urbaniste c’est du bonheur, du bien-être. Notre métier consiste à ouvrir des espaces dans un monde fini. Et d’y intégrer le temps de la vie : ouvrir les cours d’écoles pendant les vacances, accueillir des sans-abris la nuit dans les bureaux, faire d’une prairie un espace de promenade et une zone d’expansion des crues. Ménager l’espace, c’est prendre soin de ceux qui y vivent. Quand les voitures sont tenues à leur place, jamais au centre des espaces de vie, les enfants peuvent à nouveau jouer dans la rue.
32 % Le secteur du transport (personnes et marchandises) est le principal émetteur de gaz à effet de serre (GES) avec 32 % des émissions françaises.
23% Le secteur du bâtiment représente 23% des émissions en France
Sources :