Dans un contexte où l'automobile, pourtant coûteuse et à fort impact sur l’environnement, reste le moyen de transport privilégié en France, la plénière de la première Rencontre Tims a été l’occasion de se demander comment (ré)concilier justice sociale et environnementale et accompagner le changement de pratique. Regards croisés de Marie Huyghe, docteure en urbanisme et spécialiste des questions de mobilité et d’Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports.
Publié le 27 juin 2025
La domination automobile : une double peine environnementale et sociale
Posons le contexte avec Aurélien Bigo : les kilomètres parcourus ont explosé depuis les années 1970 et le boom de la voiture individuelle. La planification des transports centrée sur la voiture entraîne la marginalisation des autres modes de transport, et donc l’augmentation du trafic automobile. En découle un aménagement du territoire adapté à la voiture, un cercle vicieux qui conduit à l’augmentation des distances et une dépendance à l’automobile. La conséquence : un système de mobilité dominé par la voiture, une double peine environnementale et sociale.
Ce système de mobilité est construit autour de la voiture, un objet coûteux et à fort impact environnemental
15 millions de personnes en France sont en situation de précarité-mobilité, en raison de la précarité liée aux dépenses de carburant élevées, de la vulnérabilité vécue par les ménages à bas revenus qui ont des conditions de mobilité contraignantes et de la dépendance à la voiture. Bon nombre de personnes n’ont également accès à aucun équipement individuel ou abonnement à un service de transport collectif. Les inégalités sociales conduisent aussi à des inégalités dans l’exposition aux externalités négatives des mobilités. Les principaux impacts environnementaux, sociaux et sanitaires des transports incluent la pollution de l’air, la pollution visuelle et sonore, la sédentarité, les inégalités d’accès à la mobilité et bien entendu le changement climatique.
Pour décarboner la mobilité, il faudra faire en sorte que le marché du neuf aille davantage vers l’électrique et les véhicules sobres, mais surtout favoriser le développement d’autres modes de transport pour décarboner la mobilité : la marche sur les courtes distances, le vélo (y compris électrique et cargo sur les moyennes distances), et enfin la voiture partagée (covoiturage, autopartage) et l’intermodalité pour les longues distances. C’est en développant un bouquet d’alternatives à la voiture individuelle qu’on répondra au double défi environnemental et social posé par la mobilité.
Accompagner le changement de pratique
Pour Marie Huyghe, accompagner le changement est un levier essentiel pour transformer les mobilités. Le développement d’autres mobilités passera par le développement de nouvelles solutions, pour lesquelles il faudra susciter un intérêt et lever des freins (sociaux, psychologiques ou autres), et ce encore plus pour les personnes en situation de précarité-mobilité afin qu’elles soient utilisées. Premier élément : le pouvoir bouger. Ici il s’agit de créer un environnement favorable et sécurisant, des infrastructures et une offre d’alternatives à la voiture individuelle. Ce n’est cependant pas suffisant pour changer les pratiques : pour que ces nouvelles formes de mobilité soient appropriées, il faudra agir sur le savoir bouger : être capable, s’en sentir capable, et en avoir envie.
Pour rendre capable, il faudra donner accès aux compétences nécessaires pour utiliser l’offre de mobilité, ce qui peut passer par l’organisation de formations et d’ateliers d’apprentissage. C’est le cas par exemple des ateliers de remise en selle. Permettre aux personnes de se sentir capable passera par la réalisation de la faisabilité de l’action. Cela s’accompagne en faisant expérimenter et en valorisant les expériences antérieures, afin que les personnes réalisent qu’elles sont en capacité d’utiliser l’offre de mobilité. Enfin, il faut réussir à créer un système qui donne envie, en mettant en valeur les bénéfices individuels du changement de pratique, en communiquant sur les avantages : le vélo est moins cher que la voiture, et plus rapide en ville. Donner envie passe aussi par le changement de rapport à la norme sociale : le groupe a un impact qui permet d’accompagner le changement de pratique, et il sera plus facile de se mettre au vélo si notre entourage est engagé dans une démarche similaire. Cela permettra de créer et de maintenir la motivation.
Pour accompagner le changement, il faut penser aux compétences “oubliées” mais essentielles aux déplacements : savoir lire une carte, savoir parler la langue du pays pour lire les panneaux, comprendre les lieux du voyage
Ces trois points d’actions s’appliquent aussi aux élus qui souhaitent s’engager dans une démarche de mobilité durable et inclusive sur leurs territoires. Pour se sentir capables d’agir, il faut les former, et leur donner à voir les retours d’expérience de territoires qui ont avancé sur le sujet. Le retour d’expérience de territoires plus matures permettra de réaliser ce qui est possible. Pour leur donner envie de s’investir, on peut mettre en valeur les gains potentiels : victoire aux élections, territoires plus agréables, être reconnu en tant que pionnier ou pionnière sur le sujet. Enfin, l’effet de groupe fera qu’un groupe d’élus engagés sur le sujet créera une normale sociale qui fera des émules.
Enjeux croisés et leviers pour le changement
La plénière s’est conclue par un rappel des quatres enjeux croisés des transitions écologique et sociale : il existe différents types d’inégalités d’accès à la mobilité (selon les revenus, les territoires, l’âge, le genre…), l’exposition aux externalités négatives est inégale et elles touchent surtout les plus vulnérables, tout comme la capacité d’adaptation par rapport aux politiques de transition.Enfin, les émissions sont croissantes en fonction du revenu, et les personnes aux revenus les plus bas, qui sont les moins émetteurs, voient une grande partie des efforts demandés reposer sur eux.
Pour répondre à ces enjeux, trois leviers. Tout d’abord, la sobriété en ressources, qui s’aligne avec une baisse du coût des mobilités et donc un accès facilité pour les personnes en situation de précarité. Ensuite, le développement de mobilités alternatives à la voiture individuelle, à adapter selon les besoins des territoires, une démarche dans laquelle sont engagés les projets du programme Tims. Enfin, une réduction globale des externalités de la mobilité, qui bénéficiera en particulier aux plus vulnérables.
Cet article est basé sur les interventions en plénière de Marie Huyghe et Aurélien Bigo lors de la Rencontre Tims 2025 qui a eu lieu le 4 juin dernier.