6t-bureau de recherche a étudié l’impact des épisodes de fortes chaleurs sur les déplacements. Renoncer à des activités à l’extérieur et au déplacement associé est la stratégie la plus largement adoptée. Camille Krier, directrice associée, analyse les résultats obtenus.
Publié le 30 septembre 2025
Comment avez-vous mené cette étude ?
Camille Krier : Nous avons diffusé deux types de questionnaires et réalisé des entretiens semi-directifs durant l’été 2023, le quatrième été le plus chaud depuis 1900. L’un des questionnaires a été diffusé au moment des pics de chaleur auprès de personnes vivant dans des régions dont au moins la moitié de la population était concernée par une vigilance orange ou rouge. Nos questions étaient très précises : tel jour de canicule, qu’avez-vous fait ? Comment vous êtes-vous déplacé ? Avez-vous modifié vos habitudes de déplacement ?
Votre étude fait apparaître plusieurs stratégies d’adaptation.
C.K : Les trois-quarts des personnes interrogées ont modifié leur mobilité. Six personnes sur dix ont renoncé à au moins un déplacement. Les activités concernées relevaient surtout du loisir. La deuxième stratégie la plus répandue, choisie par trois personnes sur dix, consistait à décaler leurs activités et déplacements, plus tôt le matin ou plus tard le soir pour avoir de la fraîcheur. 8 % ont opté pour le report modal, c’est-à-dire ont changé de mode de déplacement.
Justement, quelles mobilités ont été délaissées et lesquelles ont été plébiscitées ?
C.K : Le vélo et les transports en commun ont perdu de la part modale, tandis que la voiture et la marche en ont gagné. Le phénomène de la marche à pied n’est pas facile à interpréter. Les personnes qui marchent plus les jours de fortes chaleurs recomposent peut-être leurs activités pour se déplacer moins loin et pouvoir le faire à pied. La voiture sort « grande gagnante » dans le sens où elle est perçue comme le mode le plus agréable et à privilégier lors des vagues de chaleur parce que climatisée, individuelle et ne requérant pas d’effort physique. Alors que le vélo – mode actif, exposé au soleil et à la chaleur -, la marche et les transports en commun sont perçus comme pénibles. C’est un signal alertant étant donné que la voiture est aussi le mode de déplacement qui contribue le plus au réchauffement climatique.
Les fortes chaleurs renforcent les inégalités économiques et de mobilité
Vous soulignez que certaines personnes ne peuvent ni modifier leurs déplacements, ni les éviter, notamment pour aller au travail.
C.K : Certains sont captifs de leur mode de déplacement et ne peuvent utiliser ni la voiture ni la marche à pied. Le télétravail, qui permet d’éviter de se déplacer, pose aussi une question de justice sociale car les professions les moins “télétravaillables” sont souvent les moins rémunératrices. Les fortes chaleurs renforcent les inégalités économiques et de mobilité.
Comment rendre les mobilités alternatives désirables même lorsqu’il fait très chaud ?
C.K : Une première chose serait de climatiser les transports en commun – tous les réseaux ne le sont pas ou pas efficacement – et de le faire savoir. Les modes actifs posent quant à eux la question des infrastructures. Pour circuler de manière confortable à pied ou à vélo quand il fait très chaud il faut des rues aérées et ombragées, des lieux de pause et des fontaines à eau.
En ce qui concerne les horaires, les entreprises du bâtiment se réorganisent déjà pour éviter de travailler entre midi et 16h. Cette approche pourrait être étendue à d’autres professions, voire à toutes les activités. Pour s’adapter, les commerces, les crèches ou les espaces publics pourraient rester ouverts plus tardivement, voire toute la nuit pour les parcs. L’Espagne le fait déjà, la France commence à le faire. Mais elle va devoir le faire davantage puisque le phénomène des canicules est malheureusement appelé à s’amplifier dans les années à venir.